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A chacun sa gloire. L'ascension des jeunes Sahariens d'Algérie dans la wilaya de Tamanrasset

A chacun sa gloire.
L'ascension des jeunes Sahariens d'Algérie
dans la wilaya de Tamanrasset

Marceau Gast

1960-1990 : les mutations économiques et sociales du Sahara algérien

       La mise en œuvre de l'exploitation des gisements miniers et pétroliers avant l'Indépendance de l'Algérie, durant les années cinquante, a opéré un véritable « boom » socio-économique au Sahara. Les médias ont largement diffusé les nouvelles concernant les prouesses techniques réalisées durant cette époque, affirmant le triomphe des moyens modernes, le gigantisme des projets et leurs coûts vertigineux. La mutation des populations sahariennes amorcée alors n'en a pas moins continué après l'Indépendance. Le Gouvernement algérien, conscient de l'importance des revenus de ces gisements en même temps qu'il découvrait la misère, le retard des régions sahariennes et leur fragilité politique, a entrepris une politique de promotion de cette zone tant pour assurer la protection des sites de ces ressources, que pour se concilier les Sahariens qui se croyaient durant les années 1963 à 1965 abandonnés des pouvoirs centraux d'Alger.

       L'étude globale du développement de toutes les métropoles sahariennes reste à entreprendre, celui de leur histoire régionale récente est aussi nécessaire [1] . L'une d'entre elles nous paraît particulièrement spectaculaire et démonstrative, c'est celle de Tamanrasset. Depuis l'Indépendance de l'Algérie, mais en particulier depuis la création de la wilaya de Tamanrasset en 1974 (ordonnance 74-96 du 2 juillet) et la réalisation de la route bitumée, on a assisté à une explosion d'activités, d'emplois nouveaux, de postes de travail à pourvoir, dans tout le Sahara central. Il en est résulté une euphorie, une facilité à vivre et à entreprendre à tous les niveaux que jamais les Sahariens de cette région n'avaient connues. Ce ne sont pas les productions locales qui ont généré des emplois et des revenus, mais les services des entreprises de l'Etat et la masse de crédits qui ont tout d'un coup envahi le pays, tels une manne tombée du ciel : « il n'y a qu'à se baisser pour ramasser de l'argent », me disait durant cette époque l'un de mes anciens élèves [2] . Cette manne a permis à de nombreux habitants du cru, soit de renforcer leur position socio-professionnelle (commerçants, entrepreneurs de travaux, artisans, etc.), soit d'être promus rapidement à des postes de responsabilité importants pour peu qu'ils aient eu l'audace d'y prétendre ou l'ambition d'y accéder grâce à des formations spécifiques. L'étude détaillée de la croissance de la ville de Tamanrasset est un sujet de premier choix, d'un point de vue sociologique, économique, démographique et politique. L'on y découvrirait l'ascension fulgurante d'un centre devenu stratégique sur le plan national et international, à l'échelle du Sahara et du continent africain tout entier. Pour mesurer cette croissance extraordinairement rapide, nous citerons quelques chiffres démographiques.

       En 1930 la population totale du Hoggar (sur environ 480.000 km2) était évaluée à 3.250 personnes ; en 1962 (recensement minutieux effectuée entre 1960 et 1962), ce total atteint 13.000 personnes (dont 6.500 nomades) ; en 1977 la daïra (sous-préfecture équivalente en surface à la précédente commune Touareg-Hoggar) de Tamanrasset est estimée à 23.247 habitants alors que pour la wilaya dont la surface dépasse largement les anciennes limites administratives du Hoggar, en incluant le Tidikelt, atteint 45.622 habitants. En 1967 la population de Tamanrasset et de sa banlieue est estimée à 4.800 personnes, alors que l'on avance le chiffre de 80.000 habitants et peut-être plus en 1998 (le recensement est actuellement en cours). Même si certains de ces chiffres demeurent des estimations, l'accroissement sur soixante ans, en particulier depuis 1970-74, est spectaculaire. Cet accroissement est dû essentiellement aux apports d'immigrés du Mali et du Niger qui ont pu obtenir la nationalité algérienne ou une carte de résident, mais aussi et surtout à l'arrivée des populations du Nord (Sahara compris) venues soit comme fonctionnaires, techniciens, gestionnaires, cadres de l'administration ou du Parti, militaires, etc., soit à titre individuel pour trouver des emplois, alors que le chômage sévissait (et sévit encore) dans leurs régions d'origine. La wilaya du Hoggar devenue la VIème région militaire serait forte de 14.000 militaires et autant de gendarmes, douaniers et policiers.

 

L’ascension sociale des jeunes Sahariens au lendemain de l’Indépendance

       Parmi les jeunes gens que nous avons connus entre les années 1950 et 1962, puis de l'Indépendance aux années 80, nous avons sélectionné les personnalités que nous pouvons compter parmi les élites du pays et dont l'ascension socio-professionnelle peut être considérée comme une réussite. Nous classons d'abord ces personnalités en trois catégories selon leur connaissance des langues pratiquées localement : le tamâhaq (langue tamazight du Hoggar), l'arabe algérien, le français ; et selon leur niveau de formation scolaire.

       Dans la catégorie de ceux qui ne parlent que le tamâhaq (et très peu l'arabe), on trouve d'éminentes personnalités choisies comme chefs coutumiers chez les nomades et parfois comme chefs de villages chez les sédentaires. Doit-on ne pas les considérer comme des élites alors qu'ils ont d'excellentes connaissances sur l'écologie locale, l'élevage, l'agriculture, la vie traditionnelle et la politique régionale ? S'ils ont été choisis comme responsables de tribus ou de villages, c'est en raison de ce savoir, de leur sagesse et de leur capacité à écouter leurs concitoyens pour régler des petits conflits et les relations avec les autorités administratives. Ce groupe comprend souvent des membres du parti FLN, lequel s'est efforcé de les encadrer politiquement, car l'obsession du Gouvernement algérien a été, dès 1963, de fixer et de contrôler les nomades surtout dans cette région sensible jouxtant trois frontières difficiles à surveiller. Mais faute de bien maîtriser la langue arabe et de par sa position marginale dans l'orientation politique du pays, cette catégorie n'aurait pris de l'importance qu'en cas de crise ou de conflit déclaré avec les autorités locales. C'est ce qui s'est passé au Niger et au Mali avec la révolte touarègue. Cependant, certaines personnalités touarègues qui jouaient un rôle important dans la chefferie traditionnelle avant l'Indépendance, ont continué d'être consultées et respectées après l'Indépendance de l'Algérie, telle M. qui ne lisait que les tifinars mais était l'un des représentants les plus prestigieux de la culture touarègue.

       Parmi ceux qui parlent essentiellement l'arabe mais aussi souvent le tamâhaq, et qui n'ont fréquenté que l'école coranique, on trouve les imams, les maîtres coraniques (qui écrivent aussi des amulettes), certains commerçants, des chefs de zaouïas, des moqqadens de saints musulmans (comme celui du marabout de Moulay El Hassen à Tesnou) et une population assez importante de moulay-s (chorfas qui se disent descendants du Prophète) qui quêtent toute l'année pour recevoir des dons en argent ou en nature contre la baraka et la protection morale qu'ils accordent à leurs sujets. Cette circulation de biens économiques, qui représente un important volume d'échanges, échappe à tout contrôle de l'Etat et demeure en marge de toutes les statistiques. Au sein de cette catégorie on compte des cadres du FLN, quelques personnalités qui ont accédé au poste de maire de Tamanrasset ou sont devenues membres de la baladya (municipalité), de la daïra (sous-préfecture), ou de la l'APWI (assemblée de wilaya), c'est-à-dire jouant un rôle de gestionnaires des intérêts de la collectivité et assurant un poids politique discret, mais très en prise avec les courants de pensée populaires et plutôt traditionalistes.

       Dans la troisième catégorie qui parle au moins trois langues (berbère, arabe, français) et bien souvent aussi d'autres langues (anglais, allemand, russe, bulgare, haoussa, bambara et diverses langues africaines), se situent les personnalités les plus aptes à assumer une gamme très variée de fonctions et d'activités avec les besoins du pays. Mais le niveau de savoir, l'ascension sociale et professionnelle dépendent d'abord du cursus scolaire, puis d'une formation spécialisée acquise localement ou dans des pays étrangers, des capacités d'adaptation et d'intelligence des individus ainsi que de leurs ambitions personnelles. La découverte du monde extérieur (voyages, stages de formation, bourses à l'étranger), révèle chez les Sahariens un formidable dynamisme, une soif d'apprendre et des qualités d'adaptation extrêmement rapides.

       La période euphorique des années 1970 à 1980 a vu la promotion d'une génération de jeunes gens qui avaient connu l'école sous la colonisation française et qui ont progressé après 1962. Aptes à lire l'arabe, le français, parlant aussi le berbère, cette population de toutes origines ethniques, forme encore aujourd'hui une partie importante des cadres, responsables de services et chefs d'entreprises que l'on retrouve à tous les niveaux. Beaucoup ont pratiqué plusieurs métiers, dans la fonction publique ou le secteur privé ; peu d'entre eux se sont orientés vers des responsabilités politiques à l'échelle nationale (députés, sénateurs, walis). D'une part en raison de l'attitude des pouvoirs centraux à l'égard des représentants locaux, coiffés jusqu'alors par des cadres venus du Nord et formés d'une façon spécifique pour être fidèle au Gouvernement (chefs de daïras, walis, contrôleurs financiers, magistrats, douaniers, gendarmes, militaires, etc.), d'autre part, parce que toute défense ou manifestation de soutien à la culture locale est suspectée de subversion et plus ou moins sanctionnée. Malgré la création depuis 1990 de partis d'opposition, la lutte armée de groupes au Niger et au Mali, puis celle du FIS et des GIA dans le Nord (qui se manifestent de plus en plus aujourd'hui dans les régions sahariennes), la revendication berbère est restée semi clandestine dans le Hoggar ; il n'y a pas eu jusqu'à présent d'embrasement régional. Le poids de l'armée, de la police et de la gendarmerie reste particulièrement important avec les réseaux d'information et de surveillance que ces services ont mis en place.

       Néanmoins, de gros efforts pour élever le niveau de formation et préparer des élites locales ont été réalisés par les gouvernements algériens qui se sont succédé depuis 1962 : création de nombreuses écoles primaires, de collèges d'enseignement secondaire et d'écoles supérieures formant des étudiants à différentes carrières (enseignement, douane, paramédical, comptabilité, hydraulique, etc.). La représentation locale de la plupart des grandes sociétés nationales de transport (SNTV, ATA, SNTR), de distribution de produits de consommation (ONACO, SEMPAC, OFLA), de constructions (ENCOPO, ENTRAWIT), de recherches minières et d'hydrocarbures (SONAREM, SONATRAC, SONAIA), a donné un coup de fouet aux activités de la région en offrant des centaines de postes de travail, même si certaines de ces sociétés ont subi des revers dans leur gestion ou ont dû disparaître (mauvaise gestion, corruption ou simplement privatisation). Leur existence a eu au moins le mérite d'innover une conception nouvelle et moderne de la société et de sa gestion, dont les populations locales n'avaient aucune idée avant l'Indépendance. En sorte que le moindre individu capable d'effectuer une tâche quelconque et de progresser dans son travail s'est senti promu et affranchi de toutes les pesanteurs qui bloquaient cette société : celles de la colonisation, des hiérarchies sociales traditionnelles et de leur préjugés, de la situation de pauvreté et de pénurie d'une vie antérieure qui ne devenait qu'un mauvais souvenir. Chacun pouvait revendiquer avec gloire et fierté un rang honorable, une spécialité reconnue et appréciée, des revenus permettant une vie meilleure et plus libre.

       C'est dans cette catégorie que nous remarquons les ascensions les plus extraordinaires. A. est issu d'une famille de cultivateurs sahariens très estimée et très pieuse, près de Tamanrasset. Il fréquente l'école primaire de Tamanrasset avant 1962 et l'école coranique de son quartier, passe une adolescence laborieuse (il est successivement pompiste, graisseur, journalier...), obtient le certificat d'études primaires en arabe à In Salah. Il entre dans l'enseignement comme moniteur, prépare différents examens internes à sa profession qui lui permettent d'être : instructeur, instituteur, directeur d'école, professeur de collège, conseiller pédagogique, et enfin inspecteur primaire adjoint à Tamanrasset. Son parcours, ses nombreux élèves, l'estime et la sympathie dont il jouit ainsi que toute sa famille, le mènent au Sénat algérien où il siège actuellement.

       Le cas de K. E. est différent mais tout aussi spectaculaire. Issu d'une famille de Mrabtines, orphelin de père, élevé par son oncle paternel très pieux, il n'entre à l'école primaire d'Idélès qu'à douze ans ; il atteint en deux ans le niveau du CM2 grâce à ses capacités d'apprentissage exceptionnelles et son intelligence. Il continue de cultiver le jardin de son oncle, est recruté comme interprète au centre administratif d'Idélès. Il s'initie alors aux travaux de secrétariat (dactylo, comptabilité, gestion notamment). Sélectionné pour suivre une formation de moniteur agricole à El Arfiane (Djamâa dans l'oued Rhir), il se heurte à son retour à l'hostilité des agriculteurs de son village qui refusent les leçons de ce jeune qu'ils « ont vu naître ». Attiré par la politique, il est présenté à la mairie de Tamanrasset par un sous-préfet dynamique en 1964. C'est le plus jeune maire d'Algérie dans la plus vaste commune du pays. En contact direct avec les plus hautes autorités et des personnages du monde économique, culturel et diplomatique, il agrandit son champ d'observation, développe sa culture générale, aiguise son esprit critique. Il dirige une entreprise de construction et revient à l'agriculture dans les services de la wilaya. Elu maire de son village natal, il refuse les entorses et les passe-droits et revient à ses premiers travaux agricoles sur son petit champ personnel, tout en s'occupant parfois de transport ou d'accompagnement de délégations ou de touristes.

       Nous citerons aussi le cas de O. C. issu d'une famille d'aristocrates touaregs et né dans le désert. Jeune garçon, il reçoit les cours de l'école nomade de différents instituteurs en poste dans son campement, tout en suivant un enseignement coranique traditionnel. Employé à la mairie de Tamanrasset durant plusieurs années, comme secrétaire administratif à la SONAREM, puis comme adjoint au chef du personnel dans une autre société, il est ensuite nommé délégué principal de la commission communale de Tamanrasset après la dissolution de toutes les assemblées populaires communales. Il refuse de participer aux élections de 1998 et se retire faute de se trouver en tête de liste. Son intégrité est unanimement reconnue, il n'a toujours vécu que de son salaire, son train de vie et son habitation sont d'une simplicité monastique.

 

Le Sahara contemporain : vers un monde nouveau ?

       Désormais, les générations de transition dont nous venons de parler et qui ont été rapidement promues avec la formidable accélération provoquée par la politique du Gouvernement, ont vu apparaître « les sabras de l'Algérie algérienne », soit locaux, soit originaires d'autres régions, une génération qui n'a pas connu la colonisation, née après 1962 et formée essentiellement dans les écoles de la nation. Parmi ces derniers se trouvent des médecins, vétérinaires, magistrats, inspecteurs d'académie ou inspecteurs des finances, professeurs de collège et instituteurs, infirmiers, infirmières ou biologistes, architectes, banquiers, officiers des douanes, policiers, gendarmes, climatologues ou physiciens, botanistes, forestiers et une foule d'autres spécialités dans le commerce, les entreprises techniques (construction, menuiserie, forages), le journalisme et la radio. Les filles ont aussi leur part de promotion dans l'enseignement, le secrétariat, les activités médicales, la gestion d'entreprises et la magistrature, mais restent cependant beaucoup moins nombreuses. La mobilité de tous ces métiers est surprenante. Pour tout employé de l'Etat, nanti d'une bonne spécialité et qui veut gagner plus d'argent, les solutions ne manquent pas : créer une agence de tourisme, faire du transport (légal ou clandestin), de la construction, de la photographie ou de l'import-export, dans la mesure où les sociétés nationales permettent ces activités.

       Cependant, dans le contexte de la chute brutale du tourisme après l'apparition du terrorisme dans le Nord et les révoltes touarègues dans le Sud, de la dévaluation du franc CFA et celle du dinar algérien, cette course au gain a beaucoup périclité. D'autant que ceux venus du Nord ont envahi le terrain ; ils développent eux aussi des stratégies de conquête dans certains secteurs, travaillent en réseau avec plus ou moins de couverture politique et portent assez peu d'intérêt à la région et ses populations. Ce sont ces « Nordistes » (comme on les appelle) qui ont provoqué une arabisation à marche forcée dans tout le Hoggar, relayés par les religieux devenus innombrables.

       L'explosion socio-économique du Sahara central représente une véritable révolution en train de déboucher sur un monde totalement nouveau où les pouvoirs locaux, malgré les structures officielles, ne sont pas encore définis, ni clairement répartis. Parmi la génération des jeunes de 20 à 30 ans et celle des 40 ans, s'affirment discrètement des défenseurs de la culture locale très minoritaire, qui cherchent à recueillir des traditions, des contes, poèmes et musiques, à affiner leur connaissance linguistique, mais qui n'ont pas localement de pôle de formation ni de soutien pour leurs recherches individuelles et isolées (sinon celui d'associations culturelles). Cette prise de conscience est un signe de maturité propice à l'émergence d'intellectuels locaux qui deviendront plus tard des interlocuteurs privilégiés – sinon obligés – des autorités qui gouvernent le pays. Cependant, si l'on tient compte des déviances vers la contrebande, des trafics de drogue (qui remontent du sud), de la prostitution et de la progression rampante du SIDA, les accidents peuvent être nombreux qui freineraient brutalement cette évolution, et la récession économique fatale, après ces années d'euphorie dans un monde en gestation.

       Après une période difficile pour toute l'Algérie durant laquelle la fréquentation touristique fut presque nulle pendant près de dix ans, un nouveau départ s'est opéré depuis deux ans environ avec la reprise des activités touristiques et la confiance du public. Un voyage dans le Hoggar en octobre 2002 m'a permis d'évaluer la mutation brutale du pays et la position privilégiée exceptionnelle de la wilaya de Tamanrasset. Ce qui frappe le plus au premier abord, c'est l'accroissement démographique de la population et celle de la surface de l'agglomération urbaine : 100.000 habitants, des cités à perte de vue, des routes bitumées périphériques, l'électricité dans de nombreux les quartiers, des travaux de tout-à-l'égout, d'adduction d'eau, des écoles et collèges par dizaines, d'immenses marchés regorgeant de toutes sortes de produits (alimentation, fruits et légumes en abondance, objets ménagers, outillages, électronique, radio et télévisions satellites, etc.). Les services de l'Etat (wilaya, daïra, justice, casernes, école de police, hôpitaux, dispensaires, etc.) avec les banques, pharmacies, sont omniprésents. La circulation automobile est strictement réglée (les agents sont nombreux), la vitesse en ville ne dépasse pas 50 km/heure, les accidents sont rares ; le prix des déplacements en taxis (qui se sont multipliés) est fixé à 50 DA quelle que soit la course dans l'agglomération.

       La vie sociale paraît spectaculairement agréable et détendue : cafés et brasseries (qui ne vendent jamais d'alcool) peuvent rester ouverts jusqu'au milieu de la nuit ainsi que les cybercafés et les cabines téléphoniques privées. Des couples de jeunes gens, des femmes voilées ou pas, peuvent vaquer à leurs occupations dans les marchés, les boutiques ou se promener dans les boulevards en toute liberté, visiblement détendus et heureux. Lorsqu'on s'enquiert des motivations et de l'origine des individus nouvellement implantés en cette ville, on remarque qu'en premier lieu c'est l'attraction de l'embauche qui a été la plus forte ; ensuite, c'est la paix sociale. A Tamanrasset en 2002, il n'y a pas de brigandage, ni de faux barrages, ni de GIA ; plus d'angoisse sécuritaire (les quelques cas d'exactions et de brigandage sont très vite réglés). Les immigrés viennent de toute l'Algérie : d'Oran à Batna, de Ghardaïa, d'Adrar, Aoulef, In Salah. La situation sociale, économique, politique de la wilaya de Tamanrasset semble miraculeuse et insolite dans une Algérie où par ailleurs règnent le chômage et l'insécurité dans de nombreuses régions.

       Le Service de l'Office du Parc National de l'Ahaggar qui emploie 800 personnes a permis d'offrir des postes de travail au moindre nomade resté marginal dans les grands espaces de l'Immidir, de l'Ahnet, du Gharis, de l'Acedjerad ou dans l'Ahellakan où subsistent encore quelques rares campements. Car dans ce foisonnement d'activités, de services et d'échanges commerciaux, les anciens nomades et authentiques habitants du pays sont soit à Tamanrasset et entièrement sédentarisés, soit regroupés par familles et clans dans les petits villages que l'administration les a aidés à construire (comme Taroumout, Isernan, In Deledj, Taghmart, Ilamane ou Tin Tarabine). C'est dans ces villages au nomadisme récurrent dès qu'apparaissent de bons pâturages qu'un certain nombre de guides touristiques sont recrutés par les multiples agences de voyage de Tamanrasset. Car eux seuls connaissent bien les itinéraires sahariens, la géographie et la toponymie, du Hoggar aux Ajjers et sont capables de réunir les dromadaires et les équipements nécessaires aux randonnées pédestres. Malheureusement, ces nomades à demi sédentarisés n'ont pas été très scolarisés ; ils n'ont pas su valoriser ou monnayer leur connaissance du pays et demeurent très en retrait de toutes les autres catégories sociales. La participation à l'accueil touristique que proposent les agences de voyage est l'activité qui leur convient le mieux en permettant de maintenir encore leurs traditions et quelques aspects de leur mode de vie car la demande des visiteurs est très forte sur ce plan. Les prix de location de leurs animaux, selon certains guides et accompagnateurs, demeurent relativement bas car ils n'ont pas de coordination professionnelle ni syndicale assurant la défense et l'organisation de cette activité qui devient une véritable profession. Un nouvel effort reste à entreprendre concernant la conception matérielle et pédagogique des pratiques touristiques liées à la protection et à la conservation du patrimoine dont l'Office du Parc a la charge.

       Toutefois, un grand mystère plane à propos de ce territoire. Pourquoi tous les problèmes sociaux, économiques et politiques semblent-ils résolus dans cette région, grâce aux investissements généreux de l'Etat et à la vigilance de la sécurité, et non pas sur tout le reste de l'Algérie ?

 

Références bibliographiques

BISSON Jean, 2003, Mythes et réalités d’un désert convoité : le Sahara. Paris : L’Harmattan, 480 p.

GAST Marceau, 1990, « L’école nomade au Hoggar : une drôle d’histoire », Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, 57 : 99-111.


[1] La récente parution du livre de Jean Bisson (2003), Mythes et réalités d’un désert convoité : le Sahara, vient de combler cette lacune.

[2] De 1951 à 1954, Marceau Gast fut un des instituteurs-nomades qui participèrent à la scolarisation des jeunes Touaregs de l’Ahaggar. Voir son témoignage « L’école nomade au Hoggar : une drôle d’histoire », publié dans la Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, n°57, 1990, pp. 99-111 (ndlr).