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Construction et usages des savoirs sur l’environnement

Contexte

Le caractère controversé des questions environnementales offre un champ privilégié pour l’analyse de la confrontation et de la circulation des savoirs qui sous-tendent les perceptions et pratiques locales, ainsi que l’action publique et la recherche. Les rapports science-société à propos de la nature et des questions environnementales mettent en effet en jeu une diversité d’acteurs, porteurs de savoirs différents (experts, profanes, locaux, scientifiques, etc.) en lien avec leurs positions sociales et leurs rapports à la nature. Chacun de ces savoirs porte son régime de preuve et revendique à la fois une reconnaissance et un poids dans les décisions publiques. Aucun d’eux ne peut prétendre à un monopole : les savoirs locaux sont fréquemment décontextualisés, les savoirs experts sont en décalage plus ou moins forts avec les savoirs académiques. Ceux-ci sont construits sur des questionnements propres et ne répondent pas nécessairement aux demandes de connaissance des autres acteurs. Des groupes d’acteurs regrettent par ailleurs la faible implication de la recherche pour répondre aux enjeux sociaux et politiques. Ils pointent les décalages entre savoirs et questionnent leur rôle dans l’émergence des politiques de la nature.

Les enjeux environnementaux auxquels nos sociétés sont confrontées et les nombreuses incertitudes qui y sont liées appellent à croiser les perspectives et les savoirs, à faire évoluer les dispositifs de recherche en partenariat ainsi que l’engagement des chercheurs dans des processus d’action collective. Les chercheurs sont amenés à intervenir dans les débats sociétaux, ils contribuent à les influencer à travers des approches transdisciplinaires qui tendent à hybrider des savoirs de différentes natures. Ces nouvelles postures de recherche impliquent une éthique de l’intervention fondée sur une démarche réflexive des chercheurs sur leur pratique.

Dans le thème 4, (i) nous interrogeons la circulation et les dynamiques d’articulation et d’hybridation des savoirs (dimension sociocognitive); (ii) nous analysons la façon dont ces savoirs et les affects associés (dimension sensible) sont mobilisés, de façon souvent sélective et stratégique, par différents groupes face aux enjeux environnementaux. Nous questionnons leur statut et rôle dans les politiques et les dispositifs pluri-acteurs, censés permettre une problématisation partagée (dimensions politique); (iii) nous poursuivons une démarche réflexive sur notre pratique de chercheur, en particulier notre représentation des connaissances et notre accompagnement d’actions collectives.

Objectifs

  1. Comprendre les dynamiques d’interaction entre acteurs (en lien avec le thème 1), de circulation, de confrontation ou inversement de combinaison des savoirs dans différentes sphères. Il s’agit aussi d’expliciter les modalités de partage, de valorisation ou au contraire d’occultation de ces savoirs et de leurs ressorts affectifs. L’analyse des jeux d’acteurs, de leurs interactions révèle les dynamiques cognitives et leur généalogie tout en mettant en évidence les enjeux de la construction de savoirs partagés. Certains de ces acteurs jouent des rôles de passeurs entre différentes sphères. On s’intéresse en particulier à la construction et à la dynamique des savoirs experts (lien avec thème 3) et des savoirs militants (thème 2), et à leurs rapports aux savoirs académiques. Afin de caractériser les processus de circulation, de confrontation et d’hybridation des savoirs il s’agit de rendre compte des contraintes (cognitives, économiques, sociales, symboliques), des enjeux et des dynamiques auxquels ils répondent.

  2. Analyser les effets de la co-production de connaissances sur les dynamiques d’adaptation et de transformation des relations sociétés-environnement. Il s’agit d’interroger les transformations issues de la rencontre de différentes formes de savoirs et leur impact sur la manière dont les hommes interagissent avec leur milieu. Des pratiques communes à différents acteurs (agriculteurs, chercheurs, techniciens, développementalistes, etc.) redéfinissent-elles des entités et transforment-elles leurs savoirs respectifs ? A quelles conditions et jusqu’où ? Et comment ces transformations sont-elles incorporées par ces acteurs et leur environnement.

  3. Poursuivre une dynamique réflexive déjà engagée par les collectifs GRED et GREEN sur les différentes postures de recherche, les rapports du chercheur à ses objets et aux autres acteurs. Nous tirons des enseignements des expérimentations mises en œuvre par les acteurs qui cherchent à promouvoir la co-construction de savoirs partagés en mobilisant différents types d’outils (processus délibératifs, modélisation, visualisation, théâtre, etc.). Nous souhaitons enrichir ces approches transdisciplinaires à travers un dialogue entre praticiens impliqués dans l’action et observateurs des dispositifs collectifs (participation observante - observation participante). La réflexion épistémologique sur la co-construction questionne la dimension éthique de nos pratiques et la temporalité de la recherche au regard de celles des processus de développement (en lien avec le thème 2).

Approche

Cette réflexion conduite conjointement par des agronomes, des écologues, des ethnologues, des socio-anthropologues et des spécialistes de la modélisation présente par sa combinatoire un caractère transdisciplinaire inédit. Elle aborde à la fois les dimensions épistémiques, méthodologiques, déontologiques et politiques des recherches conduites dans le vaste champ des savoirs écologiques et des usages de l’environnement biophysique.

Dans le cadre de la démarche réflexive des chercheurs et des praticiens nous développons une pragmatique de l’éthique des pratiques collaboratives pour la gestion des ressources renouvelables. Sur le plan méthodologique nous articulons divers référentiels théoriques et démarches disciplinaires. L’interdisciplinarité, la mobilisation de connaissances scientifiques pour l’action (thème 1) ou pour la décision publique (thème 3) sont confrontées à certaines contraintes pratiques lorsqu’il s’agit de leur mise en œuvre opérationnelle. Une réflexion est menée sur les conditions de montage et d’évaluation des projets transdisciplinaires.

Année thématique 2022-2023

 

Les dimensions sensibles des relations à l’environnement : enjeux épistémologiques, méthodologiques et éthiques.

La première année (2020-2021) d’animation scientifique du Thème 4 a porté sur la Science de la Durabilité (SD). Ce choix était motivé par le fait que la prise en compte d’une pluralité de savoirs et des processus cognitifs associés sont au cœur de ce courant qui vise la compréhension et la définition de nouvelles dynamiques socio-environnementales. Ce courant scientifique soulève ainsi un ensemble de questions et d’enjeux épistémiques que nous avons investis collectivement. Il nous a également offert un cadre d'analyse réflexive sur la diversité des pratiques et des postures de recherche des membres de l'UMR.

La deuxième année d’animation scientifique du thème 4 concerne plus spécifiquement les dimensions sensibles des relations à l’environnement. La prise en compte de ces dimensions dans la compréhension et le renouvellement de nos relations à l’environnement est avancée comme cruciale par un certain nombre de travaux. Nous l’avons observé, au sein du courant de la SD, certains auteurs attribuent la portée réduite de celui-ci au besoin d’un renouvellement plus profond de notre appréhension de la relation des humains à leur environnement ; en considérant les premiers comme des êtres sensibles, en prise avec leur milieu de vie selon des modalités sensorielles, émotionnelles et affectives. Dans les recherches en sciences humaines et sociales, la question du sensible est on ne peut plus d’actualité ; en attestent de multiples colloques et numéros de revue sur le sujet. Depuis quelques décennies déjà des études anglo-saxonnes, et plus récemment francophones, soulignent son fort potentiel heuristique. Les travaux relevant des écologies affectives se présentent comme une voie pour imaginer de nouveaux futurs socio-écologiques et faire émerger d’autres mondes.

Le terme « sensible » est fortement polysémique. Manola (2020) indique que « le sensible englobe à la fois du sensoriel (ce que nous pouvons éprouver par nos sens), du signifiant (le sens donné à ce qui est vécu par les sens) et du qualifiant (le rapport affectif que cela peut produire ». Les travaux sur le sensible portent ainsi autant sur les sens, les sensations, les émotions que les affects.

Quelque que soit la discipline, l’objet principal d’attention et les définitions associées, la posture première des travaux sur le sensible est l’engagement par le corps, considéré comme indissociable de l’esprit dans la production de savoirs. La recherche sur le sensible engage ainsi à une réflexion épistémologique. Il s’agit de dépasser les anciennes oppositions entre intelligible et sensible, raison et émotion, activité et passivité et de considérer le vécu, l’expérience, les affects comme fondateurs de l’émergence des savoirs. Dans cette perspective, tout savoir relève nécessairement d’un engagement perceptif et expérimenté dans un environnement.

La prise en compte des dimensions sensibles, constitutives des savoirs, fait émerger des enjeux méthodologiques tant pour les saisir que pour en rendre compte. Elle impose un renouvellement de nos méthodologies au travers d’expérimentations, de nouvelles formes d’enquêtes et d’écriture. Les travaux sur le sensible invitent non seulement à saisir, décrire et comprendre une situation mais aussi à la rendre saisissable par d’autres et partageable.

Ainsi, la deuxième année d’animation scientifique du thème 4 offre un cadre d’expérimentations et de réflexions collectives sur les enjeux épistémologiques, méthodologiques et éthiques de la prise en compte des dimensions sensibles et de ses implications : Quelles sont les implications de faire du sensible un objet de recherche et de réflexion ? Comment saisir et rendre compte de ces dimensions ? Comment considérer les dimensions sensibles dans des démarches transdisciplinaires ? Quels connaissances et savoirs inédits les approches sensibles permettent-elles de faire émerger ? Ces approches peuvent-elles participer des épistémologies radicales ? Comment ces approches nous invitent-elles à (re)penser les enjeux socio-écologiques contemporains ? La prise en compte des dimensions sensibles permet-elle l’émergence de nouveaux récits ?

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Gouverner la nature et les ressources